Je t’aime moi non plus. Dans tous les pays, les ficus ne laissent pas indifférents. Appelés parfois figuiers maudits, figuiers étrangleurs, ils sont à d’autres endroits, des arbres saints ou le symbole de rois. Petit tour d’horizon, de l’Afrique à l’Asie en passant par la Caraïbe de ceux qui enchantent et fascinent.
Le figuier maudit: juste un méchant étrangleur?
Mais pourquoi est-il si méchant ? Parce queeeeeeee…
C’est vrai ça, pourquoi est-il devenu un maudit étrangleur ce figuier qui pourrait pousser comme tout le monde, à même le sol ? Eh bien voilà, il a trouvé une technique bien à lui pour sortir la tête de l’eau. Ou plutôt sortir le bout de ses branches de la canopée. Vous n’êtes pas sans ignorer qu’une plante a besoin de lumière pour se développer. Et cette course à la lumière, dans les couverts denses des forêts tropicales, est une véritable compétition sans merci où les gros n’ont pas peur d’étouffer les petits.
Comment une plantule pourrait se développer à l’ombre d’un immense aîné centenaire ?
Seul le Saman est assez généreux pour s’éclipser le temps d’une ondée. La bonté n’est pas de mise en général. Alors, le ficus a trouvé une autre technique. Plutôt que de se battre depuis le sol et de jouer des coudes pour atteindre la lumière, il a décidé de jouer les filles de l’air et de partir à la conquête du ciel pour atteindre le sol ensuite. Un cheminement bien original pour un arbre. Et après on dira qu’il n’y a pas d’intelligence dans le règne végétal !
Il a donc peaufiné sa stratégie notre ficus tueur. D’abord des fruits bien charnus, appétissants. Les oiseaux gourmands transporteront les graines dans les air. C’est ainsi qu’il a appris à voler notre figuier (oui, on les appelle aussi figuier les ficus, traduction littérale de leur nom latin). Sans plumes. Mais avec de la gourmandise. Ca mène à tout.
La graine tombe donc du ciel et par chance s’accroche tout en haut d’un arbre. Sa victime malheureuse. Se gorgeant de soleil et d’eau de pluie, notre plantule se développe, ni vu ni connu sur la tête d’un arbre en pleine force de l’âge. Petit à petit, la plantule fait des racines qui descendent, descendent, progressivement. Ce n’est pas donné à tout le monde de pouvoir produire des racines aériennes ! C’est maintenant son objectif : gagner le sol. Puiser dans la terre ce dont il a besoin pour poursuivre sa croissance. Les années passant, le système racinaire se développe tant et si bien autour de l’arbre hôte, qu’il finit par être étouffé par ce réseau. Il meurt ainsi dans les entrailles de notre figuier maudit qui occupe désormais l’emplacement tant convoitée.
Mais être figuier étrangleur n’est pas la vocation de tous les ficus. Disons, que c’est la vie qui en a décidé ainsi, car la graine peut bien germer au sol. La faute à pas de chance. Alors le figuier maudit n’est pas une espèce en particulier. Par ce terme, on désigne plusieurs figuiers qui ont la fâcheuse tendance à se comporter en parasite grâce à la faculté incroyable qu’ils ont de produire des racines aériennes. Mais parmi eux se cachent des arbres sacrés, vénérés. Et j’en ai rencontré plusieurs lors de mes voyages. Je vous les présente ?
Cet article me permet de replonger dans mes souvenirs via les recherches des photos d’arbres marquants que j’ai croisé!
Ficus religiosa : le Bodhi tree
Ou Figuier des pagodes. Cet arbre, on le reconnaît à ses feuilles très particulières, qui sont d’ailleurs vendues à prix d’or juste à l’extérieur de l’enceinte du temple. Il faut dire que ces feuilles qui se meuvent en permanence intriguent. Une particularité qui peut être due à leur longue prolongation. Ou tout simplement, parce que comme le disent les croyants, les Dieux résidant sur ces feuilles les font bouger indépendamment du vent.
Bodhgaya. Temple de la Mahabodhi. J’ai passé toute la journée là-bas à me promener dans les jardins, à profiter de la quiétude des pratiquants bouddhistes autant que de la ferveur bruyante des hindouistes. Les pèlerins des deux bords se côtoient sur ce site, là où Bouddha a connu l’éveil. Un lieu magnifique qui remplit de sérénité. Et cet arbre, autour duquel les gens tournent sans arrêt, ramassant toutes les feuilles qu’ils peuvent, c’est l’arbre sacré en-dessous duquel Gautama a connu l’éveil. Quand je suis passée, évidemment, pas une seule feuille ne traînait, mais la nonne vietnamienne avec qui j’avais fait un bout de voyage depuis Varanasi m’en a offert une qu’elle avait séché dans son livre depuis son dernier passage ici. Un souvenir que je conserve précieusement. Même si je sais que l’arbre a été replanté et que ce n’est pas celui d’origine. Mais est-ce important ?
Ce sont également des Ficus religiosa qui enserrent les souvenirs des palais d’Angkor. Semblant naître directement des vielles pierres. Ces arbres seraient-ils particulièrement attirés par les sites chargés d’histoires, de ferveur ?
Ah oui, et je voulais préciser que le Bodhi tree n’a étranglé personne, ça ferait désordre 😉
Par contre ces ficus sont réputés avoir des propriétés médicinales, notamment exploitées en médecine Unani et Ayurvédique (en Inde, son nom vernaculaire est Pipal, du moins en Hindi). Ils seraient capable de traiter 50 maux différents. Traditionnellement, l’écorce est utilisée comme un agent antibactérien, antiprotozoaire, antiviral, astringent, anti-diarrhéique, dans le traitement de la gonorrhée et les ulcères. Les feuilles utilisées pour les maladies de la peau. Elles auraient une activité antivenimeuse et régulent le cycle menstruel. Au Bangladesh, il a été utilisé dans le traitement de diverses maladies telles que le cancer, l’inflammation, ou des maladies infectieuses. Les fruits sont utilisées comme laxatifs, le latex est utilisé comme tonique, et la poudre de fruit est utilisé pour traiter l’asthme.
Des études ont démontré une activité anthelminthique (ça tue les vers) due à la ficine contenue dans le latex de plusieurs ficus. L’activité antidiabétique de l’extrait aqueux des fruits et de l’écorce surtout a également été montré sur des rats. L’extrait hydroalcoolique des feuilles a également été étudié : il possède une action cicatrisante.
Ficus benghalensis, le banian réunionnais venu d’Asie
Ou Figuier des Banyans.
« Cette cathédrale du monde vivant ne peut qu’insuffler le respect et la méditation.“
Roger Lavergne
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si on le trouve près des temples hindous comme ici, celui du Rajaji National park près d’Haridwar. La lumière n’est pas très belle, c’était la tombée de la nuit, mais ça donne une petite atmosphère inquiétante à ce temple que l’on dirait tout droit sorti de la jungle…
Cet arbre originaire d’Inde tient son nom de la caste des marchands, les Banyans qui commerçaient à l’ombre de ses racines. Sacré pour les hindouistes, on murmure qu’il exaucerait les vœux. Peut-être qu’en se baladant parmi ses multiples troncs.. Sa circonférence est impressionnante : rendez-vous compte, sous Alexandre Le Grand, un arbre d’une taille exceptionnelle avait été remarqué au bord de la Narmada, l’une des 7 rivières sacrées de l’Inde. Plus tard, dans ses mémoires orientales au 19° siècle, James Forbes décrit cet arbre dont la canopée est capable d’abriter 7 000 hommes.
Ficus sycomorus l’arbre des rois
Tananarive, la capitale de Madagascar est entourée de 12 collines sacrées. Le roi Andrianampoinimerina épousa 12 femmes pour asseoir l’unité du royaume et son palais ou Rova se situe sur l’une d’entre elles, la Coline d’Ambohimanga (la Coline bleue), seul site malgache à figurer au patrimoine mondial de l’UNESCO. Là poussent des ficus sacré ou Amontana sous lesquels on raconte que furent prises toutes les décisions importantes. Arbre symbolique des souverains, il était évidemment interdit de les couper. Ils sont toujours là, ces arbres vénérables… qui ont du en entendre des choses depuis le temps !
Autre époque, autre lieu, autres rois. Le Ficus sycomorus est aussi appelé Figuier des pharaons. On devine son importance dans les fruits que l’on a retrouvé dans les pyramides, tombeaux des rois ou encore les mobiliers réalisés dans son bois. Il est associé à la déesse de l’amour, Hathor.
Ses fruits sont comestibles. Les figues du Sycomore originaire du Proche-Orient servaient autrefois à fabriquer du vin et du vinaigre. On retrouve la trace d’usages médicinaux datant de l’époque de Galien dans l’Antiquité grecque. Je ne pourrais pas citer tous les usages tant il mérite un article à lui seul (voire une encyclopédie). Je ne vous donne que ceux relayés sur le site de la FAO : les feuilles sont utilisées pour traiter les morsures de serpent et la jaunisse. Le latex est dit efficace pour les maladies pulmonaires, les rhumes et la dysenterie. L’écorce est utilisée pour traiter la toux, les infections de la gorge et des douleurs thoraciques.
Ficus citrifolia, l’indigène de la Martinique
En Martinique, il paraît que ces figuiers étrangleurs abritent des esprits. Enfin, c’est la jolie histoire que raconte l’audioguide lors de la visite du magnifique parc de la distillerie Clément (j’adore emmener les gens qui me rendent visite là-bas !). Ces esprits attendraient le moment propice pour se jeter sur les passants. Euh… je crois qu’ils veulent juste fermer la visite avant la nuit, non ? On se rassure comme on peut, car en Afrique, les ficus étrangleurs suscitent des contes similaires. Et dans la Caraïbe, ces arbres ont abrité des rites magico-religieux hérités d’Afrique…
En médecine traditionnelle il est utilisé comme laxatif et anti parasitaire. C’est bien. Mais une étude scientifique menée en 2011 a montré que Ficus citrifolia possédait un potentiel thérapeutique important susceptible de renforcer l’efficacité des chimiothérapies contre le cancer. De belles perspectives.
Mais ce n’est qu’un « petit » aperçu, tant les ficus/ figuiers sont une grande famille.
Chez les Massaï, en Afrique de l’Est, c’est Ficus natalensis qui est associé au mythe de l’origine des vaches, si importantes pour cette population d’éleveurs.
A Rome, c’est un ficus qui est associé au mythe de la fondation de la ville : la louve découvrit Romulus et Rémus sous Ficus Ruminalis.
A ceux qui se demanderaient, le figuier qui donne la figue que l’on mange- excellente pour la santé- est bien un ficus. Il s’agit de Ficus carica.
Et dans la Bible et les Evangiles aussi le figuier apparaît… qui peut me dire où ? A votre tour en commentaire!
5 replies to "Ficus sacré, Figuier maudit: la vérité sur les arbres tueurs"
Je suis à la recherche d’un livre qui m’expliquerait l’histoire de la figue au cours des millénaires, dans les espaces variés qu’elle occupe sur notre planète. Je ne trouve rien sur le Net. Pouvez-vous me conseiller un titre de livre bien complet sur le sujet ?
Très cordialement.
Anne Frison
Bonjour, Cécile,
Cela fait un « bail » que je n’ai eu de vos nouvelles, alors je me décide de vous écrire ces quelques lignes.
Il se trouve que vous avez écrit quelques lignes sur une autre de mes passions : en plus de tout ce qui est végétal, mais aussi les pierres et/ou minéraux entre autres.
Cela m’a fait énormément plaisir, merci encore !……
Sissy
Bonjour Sissy, c’est vrai que je me fais rare sur le blog par moment! Merci pour votre message, ça fait un an que j’avais écrit cet article sur les pierres et depuis, elles font de plus en plus partie de ma vie, j’y suis plus attentive, mais j’ai encore tant à apprendre… A bientôt et bonne et heureuse année 2017!
Hello Cécile
Moi aussi fascinée par ces arbres surtout les figuiers étrangleurs ,j’avais fait un article par rapport à mes savons..
Les autres ficus, je ne connaissais pas ,j’ai fait un petit tour dans votre royaume qui m’a beaucoup plu ..
Merci
Bonjour Ambre. Merci pour ton commentaire. C’est utilisé en savon? De quelle manière?