J’ai repris mon enquête sur les graines utilisées pour confectionner les colliers, aux Antilles. J’étais restée sur la dénommée « Graine L’Eglise » dans mon précédent article (Les colliers de graines- juste esthétiques, un peu mystiques ou carrément médicinaux ?). Cette graine d’un rouge vif, à l’aspect naturellement vernis qui lui donne presque un air synthétique m’avait tapé dans l’œil. Mais voilà, alors que je voulais creuser les propriétés d’Abrus pecatorius, une liane tropicale, je me suis rendue compte qu’il y avait deux graines différentes dénommées graines Léglise aux Antilles. En effet, sous cette dénomination, on trouve également la graine de Adenathera Pavonina qui est un arbre de la même famille des Fabacées. Alors qui est la vraie graine Léglise? et qui est l’imposteur ?
Pour les différencier
La différence se situe au niveau de la présence d’un point noir pour Abrus pecatorius. Mais attention, une variété de Adenathera, Adenathera bicolor, originaire du Sri Lanka, présente également un point noir, et est une espèce menacée. En tout cas, soyez vigilants si vous achetez des graines en ligne, nombreux sont les sites qui entretiennent la confusion : regardez bien la plante si elle est en photo (arbre ou liane ?), la graine a-t-elle un point noir ? le nom latin est-il précisé ?
Dans les deux cas, les graines sont toxiques (encore plus dans le cas de Abrus Pecatorius en fait). Attention donc à ne pas utiliser ces perles pour des colliers destinés aux jeunes enfants.
Suspect n°1: Adenanthera Pavonina, le bois de santal rouge ou bois de condori
Cet arbre à perles d’environ 15 mètres de haut et originaire d’Asie est depuis longtemps naturalisé aux Antilles. Son feuillage ressemble à celui du Robinier faux acacia.
Ses graines qui comptent parmi les plus anciennes perles végétales du monde tombent de gousses de 20 cm de long qui « frisent » sur l’arbre.
Autres usages
Elles furent utilisées autrefois comme étalon par les orfèvres asiatiques car elles ont la particularité d’avoir un poids très constant de 0,26 g. En Inde, on fabrique des porte-bonheurs miniatures avec des éléphants sculptés à l’intérieur de ces « lucky red seeds ».
Alimentation
Une étude de la FAO démontre leur intérêt en alimentation humaine. Elles sont parfois consommées grillées, bouillies ou torréfiées pour neutraliser leur toxicité, notamment dans le pacifique, à Wallis et Samoa. A Java, elles sont rôties, écossées, puis mangées avec du riz.
Propriétés médicinales
L’extrait alcoolique des graines a montré une activité anti-inflammatoire et analgésique chez le rat, mais avec un certain degré de toxicité (O LAJIDE et al., 2004 in Hommes et Plantes de Maré, IRD).
Bois de santal rouge ou bois condori- Adenanthera Pavonina, photographié au Domaine Séverin, Guadeloupe
Autres noms
Anglais : bead tree, coral bean tree, coralwood, false wiliwili, peacock flower-fence, Polynesian peanut, red bead tree, red sandalwood tree
Fidjie : lera, lere ndamu, pomea, vaivai, vaivai ni vavalangi
Français: bois de condori, cardinalier
Maori (Cook Islands):viriviri, mata; pitipiti;
Samoa : lopa, lopa
Espagnol : árbol del coral
Tahitien : la‘au paina, lopa, paina, pitipitio papa‘a
Tonga : lopa
Suspect n°2: Abrus precatorius, pois rouge ou haricot pater noster
Cette liane pérenne originaire d’Inde s’enroule autour des arbres et des buissons en donnant des gousses couvertes de petits poils fins qui s’ouvrent en vrillant pour libérer les graines.
Celles-ci étaient souvent utilisées pour la confection de colliers ou de chapelets, ce qui leur a valu le nom de haricot paternoster et de rosary pea. Ah donc la voilà la vraie graine Léglise ?
Propriétés médicinales : ce serait plutôt la graine Réglisse
Eh bien en fait, les graines étant hautement toxiques, on se sert des feuilles (en bain, contre l’eczéma), et surtout des tiges et des racines. Les tiges et les racines sont utilisées dans la Caraïbe comme équivalent de la réglisse. Elles contiennent toutes de la Glycyrrhizine qui a des propriétés expectorantes, anti-inflammatoire notamment. La décoction des tiges et racines est donc encore utilisée en cas d’affections des voix respiratoires: la toux, l’irritation de la gorge et des bronches.
Les graines, elles, sont hautement toxiques : l’abrine qu’elles contiennent constitue un poison mortel à raison de 0,5 mg pour un adulte ! A manipuler avec la plus grande précaution donc, et pas question de les consommer comme Adenanthera pavonina. La macération des graines a été utilisée à une époque, en France pour le traitement de la conjonctivite, mais il a été abandonné car trop dangereux. En Martinique, la décoction des graines serait toujours employée contre l’asthme (Longuefosse).
Autres noms :
Francophones : Français : Haricot Pater Noster, Graine Réglisse, Herbe du Diable, graine de Jéquirity, Cascavelle (la Réunion)
Anglophones : Jumby beads, crab’s eyes, rosary pea, precatory pea or bean, John Crow Bead, Indian licorice, Akar Saga, gidee gidee or Jumbie bead in Trinidad & Tobago
Bon eh bien finalement, la deuxième semble plus légitime au vu de son usage pour les chapelets, mais sa toxicité l’a amenée à être formellement déconseillée pour un usage même ornemental (une beauté fatale en quelque sorte). Reste donc, vainqueur par défaut, Adenanthera mais je n’ai pas trouvé de petite histoire en lien avec son nom…
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Sources:
Plantes médicinales caribéennes, JL Longuefosse (vol.2 p.92)
http://agarta972.free.fr/graineleglise.html
http://www.sitegrainesdumonde.com/index.php?page=circasie
http://www.sitegrainesdumonde.com/index.php?page=reglisse
http://www.graines-des-iles.org/grainesdetails.php?numero=6
http://agarta972.free.fr/graineleglise.html
http://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers12-09/010053321.pdf