Le jardin créole (Jaden Kreyol) s’inscrit dans une longue tradition depuis l’époque des indiens kalinagos et leurs « ichalis ». Véritable reflet de la culture créole, il est un mélange d’influences amérindiennes, africaines, européennes… Jardin d’autosubsistance par excellence, s’y côtoient les plantes vivrières, les plantes médicinales et les plantes d’ornement dans un savant agencement dans l’espace et le temps qui permet une production familiale abondante dans un espace restreint. Un véritable modèle pour l’agroécologie.
« témoigne d’un savoir-faire ancien, ingénieux aussi bien dans sa structure que dans l’association variée de plantes légumières, fruitières, médicinales et décoratives. Ce sont des jardins qui conservent des variétés anciennes de cultivars, abandonnés partout ailleurs pour leur moindre productivité ou leur inutilité apparente. […] Le jardin créole a une grande incidence symbolique en structurant, en marquant le paysage ou les espaces particuliers : domestiqué, à portée de la main, il fournit tout ce dont l’homme a besoin ; en même temps désordonné, sauvage, à la limite des grands bois et des mystères de ce qui n’est pas humain, il est le pont entre l’homme et la Nature, le lieu de fusion avec elle. »
Vincent Huygues-Belrose, le jardin créole
Les origines du jardin créole
A l’origine, les Indiens Kalinagos venus d’Amérique du Sud ont introduit l’« ichali », un système agro-forestier où le manioc était prédominant. On y trouvait également du giraumon, de la patate douce, du chou caraïbe, des plantes médicinales ou « ayapana » et les plantes comme le coton ou le calebassier qui servaient à la fabrication des objets du quotidien.
On estime que sa forme reste inchangée jusqu’à l’arrivée des européens au XVI° siècle, et leur potager.
Puis au temps de l’esclavage, le maître attribuait aux esclaves un lopin de terre qu’ils devaient cultiver pour assurer leur auto-alimentation. Ainsi sont nés les jardins des esclaves. De la même façon, les « neg’marrons », esclaves fugitifs rebelles ont mis en place leurs propres systèmes de production, inspiré des savoirs des indiens Caraïbes et y intégrant l’influence africaine de leurs racines.
Après l’abolition, il devient le jardin de case ou jardin « bo kay » (autour de la maison) et continue à être un moyen d’autosubsistance pour la famille.
Aujourd’hui, le jardin créole antillais a été influencé par tous ces apports successifs, avec en dernier lieu les influences des travailleurs immigrés indiens puis chinois. Ainsi enrichi culturellement et en termes d’espèces nouvelles, il constitue aujourd’hui un formidable réservoir de biodiversité aussi exceptionnel qu’insoupçonné : ce sont les lieux de survivance de certaines espèces et variétés devenues rares.
Les caractéristiques du jardin créole
Il s’appuie sur l’observation et le respect des cycles naturels.
Une concentration de biodiversité
D’une surface généralement comprise entre 100 et 200m², le jardin créole se caractérise par la présence d’une importante biodiversité. Par exemple, plus de cent espèces ont pu être recensées sur un transect de 4×15 mètres ! Diversité d’espèces, mais aussi de variétés qui a son utilité. En effet, planter des espèces différentes va permettre de gérer la nutrition différenciée des plantes, avec les associations de cultures, mais aussi les attaques de parasites (par exemple, impatiens et bananes pour contrôler les nématodes).
Sous un apparent désordre…une structure réfléchie
Le jardin créole s’organise autour de la maison avec à l’avant, le jardin de représentation, essentiellement fleuri ou planté de végétaux bas. Il symbolise la protection de la maison. A l’arrière, le jardin vivrier où aucune plante n’est placée par hasard. Elles sont installés le plus souvent en fonction de la fréquence d’utilisation (plus ou moins proche de la maison), de l’espace disponible, de l’ensoleillement nécessaire, de la compatibilité culturale des espèces et des variétés et aussi des références culturelles du cultivateur.
En bordure de ravine ou en contrebas de jardin, des arbres à pain et d’autre arbres fruitiers ou aromatiques (bois d’Inde, cannelier, muscadier) donnent l’ombre nécessaire à certains plants, et, ont bien souvent, outre leur avantage alimentaire et médicinal, une fonction de stabilisateur de terrain et de coupe-vent.
L’organisation en plages de cultures représente une forme de cloisonnement par rapport à la propagation des maladies et attaques parasitaires.
Les associations de plantes
Chaque plante a son importance : il y a celles qui protègent des parasites, celles qui assurent la couverture du sol, celles qui apportent des matières azotées pour fertiliser, celles qui vont faire de l’ombre…
Par exemple, le bananier et le chou caraïbe donnent beaucoup d’ombre, donc ils seront placés afin qu’ils ne couvrent pas totalement les patates douces ou tout autre légume rampant au sol.
L’association igname-dachine (taro) est classique. A contrario, on n’associe pas le manioc avec n’importe quelle plante car ses racines sont toxiques. Le pois doux permet de « fatraser », c’est à dire couvrir le sol de feuilles pour le protéger de l’érosion et empêcher les mauvaises herbes de pousser. Les feuilles de pois doux, riche en azote vont en plus enrichir le sol en se décomposant..
Depuis une trentaine d’années, des chercheurs de l’INRA étudient ces associations végétales pour pouvoir expliquer scientifiquement comment et pourquoi sont conçues les associations entre les différentes espèces, car ces combinaisons apportent des rendements souvent supérieurs à ceux des cultures d’une seule espèce !
Le temps
Quel que soit le type d’association, simple ou complexe, la mise en place des plants est déterminée par la lunaison, la longueur des jours, les saisons (carême ou hiver) et certains mois jugés plus propices ou contre indiqués (avril).
L’utilisation du décalage temporel des semis et plantations et de variétés diverses pour la même plante permettent de limiter à la fois l’impact d’intempéries ou de maladies car toutes les plantes ne sont pas au même niveau de développement. Cela permet aussi de bénéficier d’une récolte échelonnée sur une longue période de temps, en petites quantités.
Les croyances
Le jardin créole est lié à un univers de rituels et de croyances magico-religieuses. Par exemple, en Dominique et à Sainte-Lucie, une protection contre les mauvais sorts est assurée en entrée de jardin par les pois d’angol et/ou le croton (Codiaeum variegatum), une plante ornementale qui sert de haie pour les maisons d’habitation, particulièrement en Guadeloupe et en Martinique.
Les plantes médicinales et aromatiques : « rimed razié »
Placée près de la maison et au plus proche de la cuisine, elles permettent d’aborder une autre fonction du jardin créole : se soigner. On y retrouve le plus souvent l’Atoumo, la brisée, le gros thym, le thé pays, zeb mouton, zeb mal-tête, le basilic, fleurit-noël, etc…
Après avoir été écarté par l’apport des techniques modernes de l’agriculture conventionnelle, le jardin créole revient aujourd’hui en force avec la montée de l’agriculture urbaine, la recherche de solutions pour produire beaucoup dans des espaces contraints et le désir de consommer mieux. Au-delà de ces nouvelles perspectives, le jardin créole reste un patrimoine historique et une pratique économique dans la Martinique d’aujourd’hui.
Sources :
IRD, 2005. Agriculture biologique en Martinique
http://www.inra.fr/Grand-public/Agriculture-durable/Toutes-les-actualites/Jardin-creole
http://atlas-paysages.pnr-martinique.com/10-l-elegance-du-patrimoine.html
http://antilla.fr/modules.php?name=News&file=print&sid=803
1 Response to "Le jardin créole (jardin bo kay)- plantes médicinales, plantes vivrières et plantes d’ornement"
Bonjour
Connaissez-vous une plante nommée « rampant »a la Dominique.
Bonne réception
Sophie