Le Cameroun est vaste et plusieurs traditions médicinales co-existent : celle des pygmées, celle des bamilékés, celles du Nord du Cameroun… difficile donc de faire l’amalgame. Je vais donc simplement vous faire part de quelques observations que j’ai pu faire sur cette médecine, des infos sur quelques plantes, photos et fichiers audio à l’appui.
L’utilisation de l’écorce des arbres à des fins médicinales
La première chose qui m’a surprise, c’est l’utilisation de l’écorce des arbres dans de nombreux remèdes. En effet, j’ai plutôt l’habitude de prélever des feuilles ou quelques fleurs délicates, à la main ou au sécateur. Là-bas, on y va à la machette sur le tronc des arbres centenaires. Petit pincement au cœur. Une remise en perspective culturelle et contextuelle s’impose. Là-bas, la forêt couvre 50% de la superficie du pays, même si la surexploitation du bois par des sociétés chinoises peu scrupuleuses en entame chaque année l’intégrité. Il est donc naturel que les populations aient développé une médecine traditionnelle en lien avec ces ressources abondantes. Lors d’une enquête réalisée en 2011 sur les plantes médicinales présentes sur les marchés de la capitale, l’auteur notait une prédominance des espèces ligneuses forestières (60%) (source: Dibong et al.,2011).
Non loin de Yaoundé, à Ebogo, un guide m’a ainsi montré le Moambe jaune ( Enantia chlorantha), un arbre de 30 mètres de haut à l’écorce claire qui est l’un des 5 composants d’une recette contre les crises de paludisme.
Il y a aussi Aboa Zoak, littéralement l’arbre éléphant (Ochrocarpus africanus) dont l’écorce est prélevée puis bouillie et utilisée pour les lavements de la femme enceinte (remplace la visite prénatale). Cette écorce d’un rouge intense a une forte odeur de pénicilline lorsqu’elle est bouillie.
Et puis, il y a aussi Dabema (Piptadenia africana), un aphrodisiaque réservé aux hommes.
Le secret des remèdes et la transmission du savoir
L’art du tradipraticien reste secret. Mais depuis une dizaine d’années, certains ont vu l’importance d’enseigner même à des personnes extérieures à la famille, de transmettre ce savoir précieux. Ainsi, des personnes réalisent des enquêtes ethnobotaniques pour collecter ce savoir et le coucher par écrit avant qu’il disparaisse. Ainsi, ce jeune homme, guide au jardin botanique de Limbé, qui exprimait son envie de réaliser un livre sur ce sujet. Il collectait dans son temps libre, informations et recettes auprès des guérisseurs qui voulait bien livrer un peu de leurs connaissances et des anciens, dans les campagnes. Il m’expliquait sa démarche et le contexte au Cameroun (retranscription d’un extrait de la conversation):
« Les paysans ont grandi avec la culture des plantes, au village il n’y avait pas les pharmacies. Et quand ils arrivent en ville, ils gardent cette culture-là et continuent à transmettre. Maintenant ça se perd, parce qu’il y en a qui ne sont plus jamais repartis au village. D’autres ont changé de ville et ne se sont pas intéressés à tout ce qui concerne la plante, qui sont tombés dans la mondialisation, comme on dit. Mais ils ont tendance à revenir aux plantes.
Quand je prends les informations sur une plante, je spécifie là où on peut la trouver. […]
Ca dépend comment vous êtes avec ces personnes-là. Si vous venez juste faire votre travail « j’ai besoin de ceci » qu’est-ce que vous allez avoir ? Par contre quand vous arrivez vous faites savoir ce que vous vous connaissez déjà, vous partagez et ces personnes restent et vous regarde pour voir si effectivement ce que vous dites, vous le maîtrisez et quand elles se rendent compte que vous connaissez, elles vont parler aussi. »
L’utilisation des feuilles comme ustensile à vocation médicale
Par exemple, cette feuille d’une plante dont malheureusement je n’ai pas mémorisé le nom et qui sert de goutte à goutte. Petit témoignage audio pour les explications en direct :
Et aussi des produits transformés
Dans les pharmacies, on trouve également des produits manufacturés. Beaucoup de savons médicinaux, des tisanes et géllules pour beaucoup importées et aussi des huiles essentielles. J’y ai notamment trouvé Monodora Myristica, la fausse noix de muscade (calabash nutmeg). Les noix sont utilisées dans le traitement de la fièvre. L’huile essentielle de M. myristica a donc une activité anti-spasmodique et spasmolytique.
L’huile essentielle obtenue par hydrodistillation des graines de Monodora myristica poussant en Centrafrique a été analysée. L’huile essentielle renferme deux composés majoritaires: a-phellandrène (34%) et p-cymène (22,2%). Aux doses de 1/ml, 2/ml et 3/ml, l’huile essentielle de M. myristica réduit et même annule l’activité du spasmogène (source : Koudou et al. 2001).
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Sources :
- Savoirs populaires
- Medicinal plants of the Limbe botanic Garden (brochure)
- J. Vivien, J.j. Faure, Nguila Kerou, 2011. Arbres des forêts denses d’Afrique Centrale, pour les noms latins
- DIBONG et al. 2011. Ethnobotanique et phytomédecine des plantes médicinales de Douala, Cameroun pour les chiffres du marché de Douala
- KOUDOU J., AKLIKOKU K., GBEASSOR M., BESSIERE J.M, 2001. Composition chimique et activité anti-contracturante de l’huile essentielle de Monodora myristica in Pharm. Méd.Trad Afr. 2001, Vol 1, pp. 59-67 pour les propriétés de l’huile essentielle de fausse noix de muscade
3 replies to "Médecine traditionnelle au Cameroun"
Bonjour Cécile,
Je découvre ton blog pour lequel je fonds littéralement, étant moi même passionnée de plantes médicinales, je rêve de répertorier dans un livre ou ailleurs les plantes médicinales du Cameroun. Ce que dit le guide dans ton article est tout à fait vrai: les savoirs se transmettent de moins en moins, ça n’intéresse pas grand monde… Pour la société qui s’est occidentalisée au fil des années, cet intérêt pour les savoirs ancestraux et pour les plantes médicinales pour se soigner paraît tout simplement archaïque.
Ayant grandi avec une maman « Herboriste » à ses heures, j’ai vu naître chez moi un intérêt pour les plantes qui s’est perdu à mon arrivée en France, mais comme on ne peut jamais refouler longtemps ses racines et ce qu’on aime, cet intérêt s’est aujourd’hui transformé en passion; une passion que je souhaite mettre à profit en parcourant mon Cameroun natal d’Est en Ouest, du Nord au Sud.
Merci pour ton blog que j’adore, qui ne fait que renforcer ma motivation; merci pour les noms botaniques des plantes, j’en reconnais pas mal dont j’ignorais le nom botanique jusqu’ici.
Merci pour ce que tu fais Cécile et continue comme ça!
Une fan 🙂
Merci pour tous ces encouragements, ça me va droit au coeur. Un livre qui répertorie les plantes médicinales du Cameroun ce serait top j’ignore si le guide a pu concrétiser son projet depuis. En tout cas, c’est un peu ce que j’essaye de faire avec le blog, en faisant fi des frontières, mais c’est un vrai travail de fourmi. Quelle chance d’avoir grandi avec une maman herboriste. Si seulement les connaissances continuaient à se passer aussi simplement. Aujourd’hui il faut réapprendre. Ravie de faire la connaissance d’une autre passionnée; A bientôt
« Par hasard », je suis arrivée sur ce blog… Christelle, faites-le. Je cherche a m’éduquer sur les plantes médicinales Africaines.