Petit plaisir de la vie que de cueillir en pleine nature, de se servir, dans cet immense garde-manger gratuit. Oui mais… voilà que dès la baie juteuse aperçue, cela devient le fruit défendu ! Des échos des mises en garde venues de l’enfance ou de la nuit des temps, la peur dans le regard de l’autre, le doute qui s’insinue… et si c’était toxique ? Voilà une phrase capable de gâcher bien des plaisirs champêtres.
On nous a conditionné à penser que c’est mauvais
La nature, c’est sale, il y a des maladies, et puis des plantes toxiques, alors c’est dangereux. De toute façon on ne peut pas être sûr.
Autant d’idées qui sont véhiculées, on ne sait comment et qui sont gravées dans nos cervelles citadines. L’éloignement de la nature nous l’a fait craindre. Les industriels nous ont garanti de l’autre côté du zéro risque et de la traçabilité. Nul besoin de s’appesantir : la balance coût-bénéfice de nos esprits trop cartésiens penche en faveur d’une alimentation sous vide et de médicaments sous blisters.
Oui mais,… c’est sans compter les souvenirs d’enfance de cueillette de mûres et des confitures maisons qui finissaient invariablement sur les doigts. C’est sans compter cette petite voix du diablotin qui a envie de braver un interdit (pourtant fictif) : « Vas-y, c’est si bon, ce n’est pas grave si ça ne t’appartient pas » et l’ange sur l’autre épaule qui bredouille : « mais enfin, tu vas nous empoisonner avec tes conneries ». C’est sans compter la gourmandise, et on se retrouve avec un remake du fruit défendu by La Bible.
Et heureusement, il faut céder à la tentation. C’est vrai qu’il y a des plantes toxiques, dangereuses. Mais il s’agit de cueillir et de goûter des fruits et des baies que l’on connaît, auxquelles on nous a initié. Pourquoi se tromperait-on ? On savait bien reconnaître une mûre quand on était enfant. Alors pourquoi on ne saurait plus aujourd’hui ?
Et les maladies ? C’est vrai qu’il y a l’echinococcose du renard, la toxoplasmose, la douve du foie… et que ce n’est pas drôle. Mais à moins de cueillir à ras du sol, ou dans des zones humides il y a peu de chance de se retrouver avec un truc pareil (ceci dit, y a des régions plus à risque que d’autres).
Pourquoi je parle de tout ça aujourd’hui ? Parce qu’en Dominique, j’ai croisé une plante que j’ai reconnue immédiatement parce qu’on me l’avait montrée lors d’une sortie botanique avec l’association AVAPLAMAR en Martinique en octobre. J’ai su la nommer par son nom scientifique, le « Bonbon bleu » (on reconnaît la botaniste chevronnée, n’est-ce pas ?). Tout de suite, j’ai vu ces petites baies bleues et je les ai cueillies, prêtes à les gober, tout sourire. J’en tends une à mon ami qui me regarde d’un drôle d’air : « T’es sûre ? ». Mon enthousiasme s’effondre, le doute s’immisce, j’hésite : et si…
Le cerveau prend le pas sur l’action, et je mouline : est-ce bien cette plante ? Les feuilles, étaient-elles aussi vertes ? Aussi poilues ? Et les fruits aussi bleus ? Et si il existait une espèce ultra dangereuse qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau et qui… ? ET… STOP!!!!
Stop le cerveau, mon instinct me dit que c’est elle. Je la touche, et c’est le même contact rugueux des feuilles, je le regarde, ce petit buisson en bord de chemin avec ces nervures marquées, pas d’odeur, et ces baies poilues, pas très avenantes. Je ne l’ai vu qu’une fois dans ma vie, mais je suis sûre de moi, je goûte. Et c’est bien ce goût-là. Un petit goût sucré, comme une myrtille en moins acide. Ouf !
Comment reconnaître une plante ?
On reconnaît une plante, et on la mémorise en usant de tout ses sens : on la regarde bien sûr, et certains critères permettent de déterminer une plante (les fleurs, nombre de pétales, étamines, les feuilles, les nervures, leur disposition etc), mais aussi il faut la toucher, la sentir, la goûter si c’est possible. Créer un lien entre vous et cette plante, qui soit au-delà de l’intellect. Un peu comme quand vous mémorisez une personne, son nom, sa profession… vous enregistrez pleins d’infos, et elles se fixent d’autant mieux que vous l’entendez, vous lui répondez, vous vous touchez (serrez la main), vous vous voyez… c’est pareil avec une plante, il faut faire connaissance, en toute conscience, pas en passant comme ça « oui oui bonjour-au revoir » et vous oubliez qui vous venez de croiser! Non prendre le temps de la rencontre, voilà la clé à mon avis.
Le plaisir sauvage de la cueillette est en voie de disparition
C’est un plaisir immense que celui de profiter d’un don de la nature, au détour d’un chemin. Un petit cadeau, au passage. Et l’impression d’avoir transgressé quelque chose, d’avoir désobéi.
C’est une chose qui tend à disparaître et c’est bien dommage ! Et pour cause, avec tous ces épandages de pesticides qui nous mettent le doute. Et toutes ces saloperies qu’on balance dans les cours d’eau. Il faut bien avouer qu’on hésite un peu.
Au fait le bonbon bleu c’est quoi ? Il s’agit de Clidemia hirta, autrement appelé bush soap ou herbe cotelette. C’est une plante invasive dans plusieurs régions du globe et ses fruits n’ont jamais été étudié en détail, donc impossible de savoir si ils ont un effet bénéfique pour la santé, ou nocif à haute dose. Tout ce que je sais, c’est que c’est trop bon et qu’on peut en faire une lessive végétale !
Et si c’est invasif, autant la croquer 😉
1 Response to "Plaisir de la cueillette sauvage (ou Cécile au pays des Bonbon bleu)"
Joli article (comme toujours !) qui a vraiment du sens pour moi, qui arpente chaque jour les chemins en observant cette nature si maltraitée et cependant généreuse. Rares sont les fois où je reviens les mains vides, toujours un brin de ci, une fleur de ça…et le plaisir d’en découvrir des inconnues, de les identifier pour peut-être les cueillir à leur tour. Et ça dure depuis…toujours !