Il y a des remèdes maison qui sont sympas, qu’on prend pour le plaisir. Il y a ceux qui nous viennent des traditions familiales, ceux qu’on s’échange au coin d’une table en griffonant sur un bout de papier et puis ceux qu’on retrouve dans les bouquins. Et puis, il y a ceux dont on préfère ne rien connaître de la préparation ou qui semblent tout droit sortis de l’antre d’une sorcière !

Le remède dont je vais vous parler aujourd’hui est sans aucun doute dans cette catégorie. Et il va sûrement disparaître sous peu de la mémoire collective (je vais vous dire pourquoi), alors cet article sera comme une trace, pour le retrouver, si d’aventure ses propriétés venaient à manquer ou si d’autres découvertes venaient le réhabiliter. Car récemment, un choc frontal, violent a eu lieu entre la science et les rimed-razié.

La mort annoncée du « chiniy-trèf »

Hier encore, la recette circulait sous le manteau sur facebook ou le bouche à oreille. Puis les bruits ont commencé à courir, à se répandre, à se répercuter de post en post : ce serait un remède toxique. Certains ont vu un papier placardé dans les cabinets médicaux. D’autres dénoncent une tentative de désinformation et la dévalorisation de nos « rimed-razié ». Pourtant, le couperet est tombé samedi 19 septembre dans le France-Antilles : « Il ne faut plus absorber le rhum chiniy trèf par voie orale ». Et c’est Emmanuel Nossin, l’éminent pharmacologue, coordinateur du réseau TRAMIL et grand spécialiste des plantes médicinales des Caraïbes qui le dit, en lien avec l’ARS (Agence Régionale de Santé). C’est la stupéfaction. Car à en croire les témoignages qui se multiplient, il a démontré son efficacité, peut-être même sauvé des vies. Ici et là, l’éternelle rengaine des remèdes-maison contre les lobbys pharmaceutiques s’élève… on touche à un patrimoine culturel !

Mais c’est quoi ce remède « chiniy-trèf » ?

Il existe une plante ici en Martinique dont c’est le nom : chenille-trèfle (ou chiniy-trèf). On la trouve aussi sous le nom de Trèfle à chenille, Trèfle Caraïbe ou encore Trèfle à serpent. C’est en réalité Aristolochia trilobata, l’Aristoloche, une liane avec de jolies feuilles découpées en trois lobes. Elle donne des fleurs énormes, toutes ventrues, qui font penser à celles des plantes carnivores. Mais en réalité, ce n’est pas la plante que l’on utilise dans le remède dont il est question. Non, car on sait qu’elle est toxique car elle contient des acides aristolochiques. Cette toxicité n’a été découverte qu’au début des années 90, suite à de nombreux cas d’insuffisance rénale fulgurante chez des personnes ayant consommé des thés amincissants qui contenaient de l’Aristoloche. Si bien qu’en France, il est interdit de détenir ce type de plante, même pour les distribuer gratuitement !
Dans le cas du remède chiniy-trèf dont on parle, ces découvertes n’ont jusqu’ici inquiété personne car ce n’est pas la plante qui est utilisée mais bien les chenilles (bêêêrk) qui élisent domicile sur elle et consomment goulûment ses feuilles. Ces chenilles une fois bien dodues sont mises à macérer dans du rhum, 3 par 3, certains parlent d’un maximum de 6 par litre. Ainsi, selon l’hypothèse communément admise, la chenille digère le principe actif toxique, puisque elle, ça ne la tue pas. Si bien que le remède final, vendu au grand marché de Fort-de-France, ne présenterait pas de danger.
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Sauf que…

Y a-t-il vraiment un danger à consommer le chenille-trèfle ?

L’Agence Régionale de Santé Martinique, prise d’un doute a fait récemment analyser cette macération. Les résultats ont montré qu’elle contenait bien les fameux acides aristolochiques, si dangereux ! Et ça, ça change tout. Car le décret qui interdit de détenir en vue de vendre ou de distribuer gratuitement des Aristoloches, s’applique également aux préparations qui contiennent ces fameux acides, et donc à notre remède. Voilà notre « chiniy-trèf » devenu hors-la-loi! Cette préparation est dorénavant interdite à la vente et aux échanges. Donc oui, il y a danger à consommer du chiniy-trèf.

Notons que pour le moment, il n’y a aucune contre-indication à utiliser chiniy-trèf par voie externe, en friction. Cette application est par exemple utile en cas de morsure de serpent venimeux. C’est d’ailleurs la ressemblance de la feuille avec la tête d’un serpent qui lui aurait valu le nom de Trèfle serpent et son utilisation comme antipoison. Les trigonocéphales n’ont qu’à bien se tenir !
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Quelles sont les propriétés du chiniy-trèf ?

La plante est utilisée à des fins médicinales dans toute la Caraïbe et en Amérique du Sud… Ses propriétés d’antipoison sont connues depuis l’Antiquité, de même que sa capacité à faciliter les accouchements (Pline l’Ancien en parlait déjà!). En Europe, la toxicité de l’Aristoloche a été exploitée pour fabriquer des remèdes abortifs.

Le chiniy-trèf (la préparation à base de chenilles) est un contrepoison particulièrement réputé. Certains confirment son efficacité dans les cas d’intoxication alimentaire et plus globalement les troubles digestifs. Mais son efficacité ne se limite pas aux empoisonnements « tangibles » : il prévient les maléfices. Ce remède a une aura un peu magique.
D’autres témoignages lui attribuent une réelle efficacité pour faire s’envoler les douleurs des règles. Enfin, ceux qui l’ont essayé pour combattre le chikungunya ont apparemment eu de bons résultats pour faire partir les douleurs articulaires qui résultent de ce satané virus transmis par les non moins détestables moustiques tigres.
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Pour aller plus loin, je vous encourage vivement à lire ce papier très complet et passionnant de Emmanuel Nossin, paru dans Ethnopharmacologia, car bien que ce soit un document de recherche, il se lit comme un roman, et la magie est aussi au rendez-vous : http://www.ars.martinique.sante.fr/fileadmin/MARTINIQUE/Actualites/Autres_actu/2015/aristoloche/Nossin_Aristoloche_Martinique_ethno_pharmaco.pdf

Réflexion sur la toxicité des plantes et du remède chenille-trèfle

Oui, les plantes peuvent tuer. Peut-être que je ne le rappelle pas assez souvent ici. Car si elles sont des remèdes puissants, c’est parce qu’elles contiennent des principes actifs puissants. Mal dosées, mal employées, elles peuvent conduire à l’empoisonnement. Le pire, finalement, ce ne sont pas les empoisonnements brutaux, avec des symptômes immédiats et violents. Non, le pire, c’est l’intoxication progressive, un petit peu plus chaque jour, et le poison s’accumule chaque fois que l’on consomme la plante. Cet empoisonnement-là ne se voit pas sur le moment. Mais seulement au bout de plusieurs semaines, de plusieurs années parfois on peut découvrir que des organes sont endommagés de manière irréversible (ici, les reins dans le cas de l’Aristoloche).
La science a souvent validé ce que des années et des années de croyances populaires et d’usages avaient établis. Mais pas toujours. Il arrive que grâce à la science, on se rende compte de ces effets d’empoisonnement sur le long terme, qui ne sont pas perceptibles « à l’oil nu ».

Donc non, décidément, il ne faut pas consommer le cheniy trèf à la légère. A ceux qui malgré ces éléments nouveaux et récents vont continuer à consommer ce remède, j’ai envie de dire, c’est votre droit mais veillez à ce que ce soit d’une manière tout à fait exceptionnelle, en dernier recours et toujours de façon ponctuelle, et en petite quantité. Une prise prolongée conduirait inévitablement aux mêmes incidents qu’a connu la Belgique dans les années 90 : des cas d’insuffisance rénale graves. De plus, pourquoi ne pas profiter, plutôt, de ses effets par voie externe puisque cette manière de faire ne présente pas de contre-indication ? Ici, plus que jamais, il ne s’agit pas de savoir si cela profite ou non aux labos ou de s’accrocher à l’aspect culturel : il s’agit de votre santé et de celle de vos proches, alors, prenez-là en main et intégrez ces nouvelles informations à vos habitudes ! Quelle que soit votre décision, maintenant, vous savez.
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Crédit photo: Un grand merci à Valentine Sagaliapidine-Cousin-Marguenat qui a accepté de me prêter ses photos pour illustrer mon article. Je sais que sa maman est fan de ce remède, alors j’espère que mon article ne lui déplaira pas. Il est parfois difficile de concilier science et remèdes populaires, la première ne prenant pas de gants quand il s’agit de remettre en cause la deuxième.

Sources intéressantes sur la thématique:
http://agarta972.free.fr/treflecaraibe.html
http://www.ars.martinique.sante.fr/Chiniy-Tref-quels-risques-po.183681.0.html
http://www.tramil.net/fototeca/imageDisplay.php?id_elem=22&famil=ARISTOLOCHIACEAE
http://sante.lefigaro.fr/actualite/2012/04/12/17962-plante-medicinale-responsable-cancers-rein

    7 replies to "Le chenille-trèfle (chiniy-trèf) un antipoison empoisonné ?"

    • Charlot

      Morsure de 2012 par venïn maléfique
      Couchée deuis 2012. Aucun remède n a agi.C est du malifce

    • Aroma Zénith'ude

      Bonjour, moi aussi très intéressée par cet article qui me rappelle mon enfance. Enfant, pendant les vacances j’ai eu à en consommer. Je parle de ça dans les années 80,c’était le 1er remède secours dans la famille, en cas de dérangements intestinaux. Et puis il s’avère que ces fabuleuses chenilles ont peu à peu disparu du jardin familial où on les trouvait (bien dommage), donc plus de « chini trèf ». Comme vous le dîtes, toute plante est un médicament potentiel avec ses principes, il ne viendrait à l’idée de personne de prendre 10 comprimés de paracétamol d’un coup pour guérir des douleurs. Les anciens savaient consommer les remèdes « maison » avec parcimonie, à nous d’en faire de même.

      • Cécile Mahé

        Bonjour Emma, merci pour ce témoignage! C’est la raison pour laquelle le savoir des anciens ne doit jamais cesser de vivre! Ce n’est pas le tout de disséquer les préparations, mais la façon dont elles sont utilisées compte tout autant. Un joli message que vous me laissez-là!

    • GUILLET

      Bonjour, j’ai été très intéressée par l’article sur la chenille trèfle. Etant originaire de la Martinique j’ai toujours entendu parler du macérat de chenille trèfle comme anti-poison et mon père n’a jamais manqué de se fabriquer sa bouteille au cas où. Mon frère qui a eu une fois une intoxication alimentaire causée par un poisson a été sauvé grâce à cela ; mais c’est la seule fois qu’il en a bu. (une petite cuillerée). Donc c’est réellement un médicament mais à utiliser à bon escient.

      • Cécile Mahé

        Bonjour Guillet, merci beaucoup pour votre témoignage, qui prouve une fois encore que nous devons tout faire pour préserver le savoir lié à ces plantes, mais aussi la manière dont les produits étaient utilisés, avec discernement

    • Cécile Mahé

      Bonjour @galante , merci. Celle-ci ne pousse pas dans l’Isère mais… ses petites cousines si à mon avis. L’aristoloche est un genre plutôt répandu (regarder du côté de Aristolochia clematitis) … oups, je crois que je vais vous provoquer de nouvelles sueurs froides 😉

    • Galante

      Coucou Cécile,heureusement cette plante ne pousse pas dans l’Isère!
      Cela m’a fait « froid »dans le dos!
      Encore un article très instructif.Bravo

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