Dans le cadre des journées nationales du patrimoine 2014, le Musée Départemental d’Archéologie et de Préhistoire de la Martinique* organisait une conférence sur la pharmacopée caribéenne. L’objectif était de mettre en avant le lien entre nature et culture par le biais de la pharmacopée traditionnelle héritée, entre autres, des Indiens caraïbes. La conférence était animée par Emmanuel Nossin, pharmacien et ethnobotaniste, coordinateur du réseau TRAMIL et auteur de plusieurs ouvrages sur les plantes médicinales caribéennes.

Introduction- Revaloriser les pharmacopées traditionnelles pour assurer l’accès aux soins du plus grand nombrenossin

Il rappelle tout d’abord la position de l’OMS qui affirme qu’en 2050, on ne pourra pas se soigner uniquement par la médecine académique ou « biomédecine ». 90% de la population mondiale n’a pas accès aux « pétromédicaments », or la pétrochimie est la base de cette médecine académique et avec l’épuisement des ressources, il est nécessaire de revaloriser la pharmacopée traditionnelle et de l’intégrer au système de santé.

En France et dans les Outre-Mers, cette nécessité est appuyée par le constat d’un déremboursement des médicaments et d’une augmentation de leurs prix.

Cet appel de l’OMS a été entendu par la population de la Caraïbe. Mais pour revaloriser cette médecine traditionnelle, il faut la définir. Il y a nécessité d’élaborer la pharmacopée, de passer du savoir transmis oralement à l’écrit.

Récemment, le Grenelle de l’Environnement a permis la reconnaissance de la pharmacopée des Outre-Mer. Une centaine de plantes d’Outre-Mer sont ainsi inscrites à la pharmacopée française. Une cinquantaine de plus récemment, dont 15 de Martinique. D’autres départements comme la Guyane ne souhaitent pas inscrire leurs plantes tant qu’ils ne sont pas en mesure de produire les phytomédicaments qui leur correspondent.

pharmacopee

La construction de la pharmacopée traditionnelle en Martinique au cours des siècles

Dans la construction de la pharmacopée en Martinique, Emmanuel NOSSIN cite en tout 5 apports successifs qui vont enrichir la pratique et la biodiversité :

1- L’apport amérindien

Et notamment l’apport des Indiens kalinas, migrants de l’Orénoque. Le rituel akembuaï donne son origine au terme quimboiseur (tjenbwazè en créole), le sorcier.

Il en profite pour souligner que la population en Martinique n’est pas forcément afro-descendante.

2- L’apport européen

Ceux qui ont débarqué en Martinique n’étaient pas forcément des penseurs du siècle des Lumières, mais des gens de la campagne avec leurs croyances et leurs usages. Des plantes à usages médicinales comme le navet, la camomille, le plantain, le basilic, le thym sont issues de ces pratiques.

La théorie des 3 humeurs (sang, bile, flegme) est également apportée par les européens. Flegme va donner le « flim » en créole et le chaud/ froid, qui n’est pas tant ça qu’une différence de température.

3- L’apport africain

52% des martiniquais sont d’origine nigériane, de l’ethnie des Yoruba. Ceux-ci vénéraient le Dieu Tam. En ça la Martinique diffère de la Guadeloupe où l’origine est plutôt congolaise.

En 1848, des travailleurs Congo libres immigrent de Guadeloupe en Martinique.

4- Apport indien (origine Tamoul)

200 plantes indiennes se retrouvent dans la pharmacopée de Martinique (sur 980 à 1000 plantes)

Au Lorrain, on peut trouver un centre indo-martiniquais d’ayurveda créolisé. Plus d’informations:

http://martiniquenordtv.fr/2012-08-19-22-46-26/video/random/atmajyoti.html

https://www.facebook.com/pages/Atmajyoti-Martinique/198141946992400?fref=pb&hc_location=profile_browser

5- Apport chinois

1000 chinois ont immigrés sur Sainte-Marie

Enfin, quelques plantes inscrites à la pharmacopée sont citées, ainsi que les travaux réalisés dans le cadre du réseau TRAMIL, notamment un livre en créole pour utiliser les différentes plantes médicinales de Martinique : Rimed Razié, livre pratique pour les premiers soins

Présentation du réseau TRAMIL

TRAMIL est un programme/réseau de recherche appliqué à la médecine traditionnelle populaire dans le Bassin Caraïbe, dont le propos est de rationaliser les pratiques de santé basées sur l’utilisation de plantes médicinales. Cette recherche ethnopharmacologique s’est étendue vers pratiquement tous les territoires qui touchent la mer des Caraïbes, à travers la réalisation d’enquêtes en utilisant une méthodologie uniforme.

En Martinique, des enquêtes ont été réalisées entre1990 et 1995 pour identifier les plantes médicinales traditionnellement utilisées et leurs usages.

Pour en savoir plus, consulter le rapport réalisé par Jean-Louis Longufosse et Emmanuel Nossin :

Rapport enquêtes TRAMIL, Longuefosse-Nossin

Un exemple de collaboration entre médecine traditionnelle et conventionnelle en Martinique

Le Centre hospitalier Mangot-Vulcin, face à l’absence de traitement disponible en médecine conventionnelle contre les effets du chikungunya, maladie relativement nouvelle (épidémie depuis fin 2013) s’est tournée vers la pharmacopée traditionnelle et a sollicité les services de M. Nossin. Le corps médical a appelé à l’aide ! Aujourd’hui, les médecins du centre prescrivent des plantes médicinales qui soulagent efficacement les patients, avec une ordonnance qui suscite parfois des réactions de surprise de la part des patients comme des pharmaciens.

Les médecins prescrivent des plantes, mais sans certitude que le pharmacien, lui, a le produit. Interrogé à ce propos, un médecin a répondu que ce n’était pas son problème, que lui, son rôle c’est de prescrire, aux autres, derrière de se mettre en ordre de marche !

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* 9, rue de la Liberté, sur la Savane à Fort-de-France. Ouvert du lundi au samedi. Se renseigner sur les horaires : 05 96 71 57 05. Le musée présente l’univers amérindien et la survivance de cet héritage dans le quotidien en Martinique.

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