Il y a un an, je m’interrogeais sur deux modèles de vie alors que j’étais à Bali: nomade ou sédentaire?

Alors en plein nomadisme, l’idée que je me faisais de la liberté a été complètement chamboulée. Sans attache, sans racine, sans maison, il a fallu réapprendre ce qu’était la vie. Aujourd’hui, je réapprend le plaisir de faire des semis et de me projeter dans une récolte future, au sens propre, les mains dans la terre. Je sens des racines pousser sous mon instabilité et  se développer dans mon nouveau cocon. Je sens aussi remonter toute la souffrance que cette insécurité a généré ces dernières années. Cette peur d’être rejetée, d’être abandonnée comme un chien qu’on attache à un arbre du jour au lendemain, parce qu’on en a plus besoin. Cette sensation sourde qui fait qu’on a toujours dans un coin, une valise pas totalement défaite, un sac pour le cas où, d’un coup, je ne serai plus chez moi, comme ça, parce que quelqu’un l’a décidé. A chaque instant, le couperet peut tomber. C’est ça être prisonnier. C’est être déracinée, ce n’est pas la liberté: c’est être une plante en pot.

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Aujourd’hui, les racines repoussent doucement, douloureusement et je regarde celles de mes boutures qui s’étendent dans les pots transparents. Tous ces filaments fins, fragiles, qui cherchent leur chemin vers la terre d’asile. Je plante pour être chez moi. Je plante parce que je suis enfin chez moi. Je plante mon chez moi et je m’ancre fermement. C’est une folie de boutures et de semis. Ici les graines de giraumon et d’aubergines mangés la veille, là le basilic de la voisine et ici… ici les tronçons d’une cordyline trouvée sur le bord de la route, balancée sur le bas-côté, elle m’a touchée. J’ai trouvé ça injuste et je l’ai pris dans ma voiture. Pour qu’elle ne soit pas seule, taillée, jetée et abandonnée.

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Les premiers bourgeons racinaires apparaissent. Elle a droit à une seconde chance. Elle aussi. Elle peut reprendre vie à partir de petits morceaux égarés. Les plantes sont un modèle dans de nombreux domaines. Pour nous êtres humains qui avons pourtant décider d’inclure dans notre vocabulaire quotidien une botanique bien dévalorisante: se planter, végéter, avoir un grain, ce ne sont pas des qualités! Pourquoi ce regard si dur sur  les plantes qui nous ont précédés, nourris, protégés, chauffés, soignés, habillés… Il semble que dans leur envie folle de s’affranchir des lois naturelles, les hommes aient décidé de mépriser les plantes entre toutes. Ce n’est pas anodin, car elles offrent un modèle d’abondance aux antipodes de la rareté, de l’avidité et de la stérilité de notre modèle de société. Chez la plante, tout se renouvelle, donne à foison, croît et partage. Une graine donne un arbre, qui donne dans sa vie des millions de fruits qui donnent des milliards de graines qui donnent des milliards de ce même arbre et pourtant… on aurait un problème pour nourrir l’humanité. Etrange… non? 

Là où il y avait fécondité, l’homme a créé les variétés hybrides stériles. Là où il y avait de la vie, un écosystème renouvelable, l’homme a déversé des produits de sa création et détruit les sols et les nappes d’eau. Là où il y avait des ressources pour tous, on a acheté les espaces naturels et fait la chasse aux cueilleurs qui venaient voler le bien privatisé. Là où tout était disponible, accessible et abondant, on a créé la rareté, le prix et la nécessité de gagner sa vie. Je me demande à quel moment nous avons perdu la vie pour être ainsi condamnés à perpétuité à la regagner? Dans quel jeu de dupes sommes-nous emprisonnés?

    1 Response to "Le modèle des plantes: ancrage et abondance"

    • Audrey

      Merci pour cet article très intéressant et touchant. A méditer pour beaucoup d’entre nous. Moi je m’y retrouve bien.

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