Ça court dans tous les sens. On est dimanche matin, et même si Georges squatte la Lézarde, les joggeurs n’ont pas déserté Morne Cabri. Ils passent à côté de toutes ces merveilleuses plantes que nous présente, une par une, Michel Delblond, sans même leur jeter un regard, tout concentrés qu’ils sont sur leur effort. Combien regardent bizarrement notre petit groupe attroupé autour de l’un des rares représentants d’une espèce endémique des Petites Antilles, le mahot noir ?

Cordia martinicensis, une plante endémique des Petites Antilles

Entre autres plantes rencontrées ce week-end grâce à la sortie mensuelle de l’association AVAPLAMAR, il y avait ce Mahot noir dont je n’ai pas encore parlé sur le blog. Et quel dommage ! Je me dois de lui rendre justice pour cet oubli. Car c’est une des rares plantes endémiques des Petites Antilles. On le trouve seulement en Martinique et à Ste Lucie et en Dominique, les deux îles voisines anglophones situées immédiatement au Sud et au Nord. C’est pour cela que son nom latin est « martinicensis ». Elle a été remarquée pour la première fois ici-même. Pourquoi j’insiste tant sur ce point ? Parce que de nombreuses espèces ont été importées sur l’île, d’abord d’Amérique du Sud par les indiens Caraïbes, puis par les colons d’Europe puis des autres îles pour en faire la culture, ensuite par les vagues successives d’immigrants comme les indiens dont j’ai déjà parlé… pour finalement ne laisser que peu de place à une flore typiquement martiniquaise.

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L’inflorescence scorpioïde de Cordia martinicensis

Mais ne le criez pas sur tous les toits, qu’il y a des mahots noirs ici. Il ne faudrait pas que tout le monde vienne pour les dépouiller, les pauvres. Sauf si c’est pour prélever quelques graines et les replanter à la maison, évidemment. Même si aujourd’hui le mahot noir est encore bien répandu en Martinique, le fait qu’il pousse seulement ici et pas ailleurs, le rend fragile et du même coup nous rend responsable, nous, habitants de l’île, de sa survie à l’échelle de la planète…

Le Mahot noir a fait son entrée officielle à la pharmacopée française

De grands hommes entrent à l’Académie française, les plus grandes plantes, elles, rejoignent la pharmacopée française. Le Mahot noir a bénéficié de cette distinction puisqu’il a été intégré pour ses usages externes à la pharmacopée française en 2013 avec 45 autres plantes. Il aura fallu plusieurs années de « bataille » juridique et politique pour faire reconnaître les plantes d’outre-mer. Sans cette reconnaissance officielle, une plante reste dans le domaine du savoir populaire et ne peut être exploitée, cultivée et vendue pour ses vertus médicinales. Du folklore à la science, il n’y a qu’un pas que Mahot noir a franchi avec succès.

L'écorce noire du Mahot noir
L’écorce noire du Mahot noir

Une plante médicinale aux multiples usages

Le Mahot noir se reconnaît facilement grâce à son inflorescence « scorpioïde ». Cela signifie que ses minuscules fleurs sont regroupées en grappes prenant la forme d’une queue de scorpion. Ses propriétés et son utilisation traditionnelle ont été en partie validées par la science. Notamment ses propriétés anti-inflammatoires. C’est la condition pour figurer à la pharmacopée française : il faut montrer patte blanche- enfin… fleur blanche, quoi.

Mais je laisse la parole à Roseline Delblond, pharmacienne et présidente de l’Avaplamar, c’est elle qui avait présenté cette plante lors du grand colloque CIPAM qui s’est tenu en Guadeloupe en 2014.

D’abord son nom: Mahot noir ou « Bois nwé » vient tout simplement de la couleur de son écorce. Celle-ci était utilisée pour fabriquer des ceintures utiles pour les maux de dos. Les cordes pouvaient également servir pour attacher le bétail.
Ses feuilles étaient utilisées en tisane par voie interne en cas de « blesse », en mélange avec d’autres, pour refroidir. Difficile d’expliquer ce qu’est la blesse, mot typiquement antillais… Il y a la notion de blessure, mais en interne. Roseline prend l’exemple de l’effort pour pousser une voiture, il y a l’idée de « forcer », et c’est à ce moment là que la « blesse » survient. Elle se situe au niveau de la cage thoracique. A la Réunion, on parle de tisane « z’effort » pour soulager les douleurs qui surviennent lorsqu’on porte quelque chose de lourd par exemple. C’est la même notion.
Les propriétés du mahot noir peuvent également s’employer en externe sous forme de cataplasme avec les feuilles.
Parmi d’autres utilisations traditionnelles, on peut évoquer les entorses et foulures, la grippe, douleurs articulaires, l’hypertension, les descentes de matrice.

 

Autres noms : Cordia, black sage (Ste Lucie), Mahot noir, Bwa nwè, Bois noué, Mahot noué, Bwa blès

Attention, rien à voir avec le mahot de l’île de la Réunion, aussi appelé bois de senteur ; son nom latin à lui, c’est Dombeya et il fait partie de la famille des Malvacées, contrairement au notre qui appartient aux Boraginacées.

Au fait… Mais qui est Georges ?

Pour ceux qui ne sont pas en Martinique, Georges est le crocodile qui a fait les gros titres dernièrement sur l’île. Il habite vers Morne Cabri justement, dans la rivière de la Lézarde. Cette zone de mangrove lui a jusqu’ici permis de couler des jours heureux sans se faire trop remarquer, du moins jusqu’à ce qu’il se fasse « flasher » par un hélicoptère de la gendarmerie. Flagrant délit de mauvaise tronche : le voilà rendu ennemi public numéro un. D’où vient-il, que fait-il ? Et surtout, est-il dangereux pour les enfants-nombreux- qui fréquentent le centre nautique jouxtant le parc ? Un véritable feuilleton qui nous a tenu en haleine quelques mois, jusqu’à ce qu’on se lasse : Georges court toujours et les joggeurs aussi.

Et vous, vous sentez vous responsable de ces espèces qui poussent près de chez vous et que l’on ne rencontre nulle part ailleurs ?

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